mercredi 11 janvier 2017

Billets-Et si en 2017, l’État arrêtait « d’emmerder les Français » ?


Et si en 2017, l’État arrêtait « d’emmerder les Français » ?

L’année dernière a été particulièrement redoutable pour nos libertés : retrouvez la liste non exhaustive des interdictions nées en 2016.

Puisqu’il est de coutume de dresser le bilan de l’année passée, voyons un peu combien de libertés nous avons perdues en 2016. Je ne parle pas des grandes libertés civiles, déjà gravement mises à mal par la Loi renseignement ou l’état d’urgence. Mais des petites libertés quotidiennes qui font le charme de la vie en société.
Quelques interdictions nées en 2016
Nos sagaces représentants ont ainsi décidé de nous interdire, dans le désordre :

  • les vitres teintées pour les voitures (dès lors que le taux de transparence, précise le décret, est inférieur à 70%) ;

  • la fessée pour les enfants (et même « tout recours aux violences corporelles » : quid alors des emmaillotages de nouveaux-nés ?) ;

  • la moto sans gants (pour savoir quels gants sont homologués, prière de vous référer à la directive CE 89/686, sans quoi vous perdrez un point de permis) ;

  • les sacs de caisse en plastique (d’une épaisseur inférieure à 50 microns, merci de vérifier à l’aide d’un microscope) ;

  • les véhicules anciens dans les rues de Paris (immatriculés avant le 1er janvier 1997 : place aux Millennials) ;

  • la cigarette électronique sur le lieu de travail (car comprenez-vous, le geste « rappelle celui de fumer » et « pourrait devenir un point d’entrée vers le tabagisme », nous dit le législateur) ;

  • et last but not least, l’achat d’actes sexuels (mais pas leur vente : comprenne qui pourra).

Ce n’est plus l’État-Nounou, mais l’État-Folcoche, comme la marâtre de Vipère au poing.
Des interdictions insidieuses
Ce sont des détails, me direz-vous.

Justement. Ainsi que l’écrit Tocqueville dans les derniers chapitres fameux et hélas toujours aussi pertinents de la Démocratie en Amérique,

« On oublie que c’est surtout dans le détail qu’il est dangereux d’asservir les hommes. »
Ils perdent peu à peu la pratique de la liberté, et le goût de la défendre. C’est pour notre bien, me direz-vous : n’est-il pas préférable pour les enfants d’échapper à la baffe, pour la nature d’être préservée des plastiques et des pots d’échappement, pour les femmes (et les hommes) de ne pas être traité(e)s en objets sexuels, et pour la police de pouvoir observer les conducteurs de 4×4 suspects ?

Justement. Tocqueville voyait émerger avec frayeur au-dessus des citoyens ce « pouvoir immense et tutélaire » qui
« travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, (…) que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? »

Nous abandonnons année après année des libertés trop fatigantes, en nous rapprochant toujours davantage de ce « despotisme démocratique » redouté par le lumineux philosophe il y a près de deux siècles.

En dépit de nos badineries sur les moeurs et de nos prétentions progressistes, nous avons développé collectivement une forme de morale d’État plus répressive et ubiquiste que le clergé de jadis. Comme toute morale, elle génère une redoutable hypocrisie, qui pourchasse les vices des faibles plutôt que de dénoncer les crimes des forts.

On impose des paquets neutres aux fumeurs, mais on déploie des trésors de diplomatie pour vendre nos Rafales, sans images dissuasives d’enfants sous les bombes. On refuse aux vieilles guimbardes l’entrée de Paris, mais on continue à subventionner massivement les énergies fossiles. On invoque la dignité humaine, mais on dénie aux prostitué(e)s les garanties légales qui leur permettraient d’exercer correctement un métier difficile. Tartuffes !
Au lieu d’interdictions, mettre en oeuvre des politiques publiques
À la symbolique de la sanction, il serait pourtant possible de substituer une éthique de la responsabilité. En instaurant une taxe carbone pour protéger notre environnement. En faisant payer, via des mécanismes d’assurance, ceux qui viennent engorger les hôpitaux pour avoir conduit une moto sans protection adéquate. En légalisant et régulant les activités prostitutionnelles pour mieux sévir contre la traite et l’exploitation. En appliquant l’article du Code pénal qui condamne à juste titre la maltraitance à l’égard des enfants. Bref, en élaborant des politiques publiques qui nous traitent en adultes. Faute de quoi, les trois quarts des Français qui, selon l’institut Viavoice, estiment souffrir d’un trop grand nombre d’interdits, risquent bien de se rebeller.

Je propose donc une bonne résolution à nos responsables politiques pour 2017, facile à tenir, et inspirée de notre président-poète Georges Pompidou : arrêtez de nous emmerder !

Source contrepoints.org
Photo Liberty Broken by David Schnexnaydre(CC BY-NC 2.0)
Par Gaspard Koenig.


Gaspard Koenig est le président du think-tank Génération Libre. Auteur de romans et d’essais, il intervient régulièrement dans les médias. Son dernier livre Le révolutionnaire, l'expert et le geek est paru chez Plon cette année.

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