dimanche 10 février 2019

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The Mentalist

« The Mentalist », autopsie d’une paranoïa américaine

Depuis bientôt sept saisons, la série policière américaine The Mentalist envahit la télévision française, où elle se trouve en général en tête des audiences. Elle fait partie de ces œuvres télévisuelles telles que Dr House, où le personnage principal a un comportement transgressif, ce qui constitue le principal attrait de la série.

En France, toutes les séries américaines sont diffusées en boucle, avec plusieurs épisodes programmés pendant une longue soirée. Seul un épisode est nouveau, tous les autres sont programmés dans le désordre, avec souvent des rediffusions (alors que les networks aux États-Unis, au moins pour la première diffusion, ne programment qu’un seul épisode par soir). Ainsi, on perd assez vite le fil de ce que scénaristes et producteurs ont voulu nous raconter. C’est particulièrement vrai pour The Mentalist, une série construite de façon méticuleuse, et où le véritable sens n’apparaît qu’après plusieurs saisons.

Sans coupures publicitaires
C’est aussi pour cette raison que la très récente introduction de Netflix en France a une certaine utilité (et oui !) : cette plateforme de films et de séries télé nous offre la possibilité de regarder – en toute légalité – les premières saisons du Mentalist dans l’ordre, d’un seul trait, sans coupures publicitaires. Au risque de ne plus pouvoir s’arrêter, d’ailleurs…

Héritages de genre
Au premier regard et malgré le personnage de Jane, la série est pourtant de facture plutôt classique : soigneusement réalisée, avec des intrigues conventionnelles, parfois peu crédibles, qui se répètent d’ailleurs assez souvent, The Mentalist ressemble à pas mal de productions du genre. Tourné dans le décor très contrasté de la Californie du sud (La série est censée se situer dans la région de Sacramento, dans la plaine centrale de la Californie, mais elle est en général tournée dans les environs de Los Angeles, plus au sud. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs : en dehors de quelques endroits clairement indentifiables – et jamais nommés – tous les lieux dans la série – en permanence nommés, eux – sont totalement fictifs.) où opulence et misère, richesse excessive et pauvreté extrême se côtoient et se confrontent, tous semblent avoir à cacher quelque chose. L’on puise ici allègrement dans tout ce que le bon vieux film noir nous a légué en terme de thèmes et de personnages : femmes fatales, flics véreux, riches hommes d’affaires et politiques corrompus, le tout avec une touche d’Agatha Christie : lorsque Patrick Jane rassemble tous les suspects dans une seule pièce, c’est du pur Hercule Poirot !

Ruse et insolence
Parlons d’Hercule Poirot. Jane, « consultant » du CBI, le bureau californien d’investigation, lui ressemble étrangement, sauf sur le plan physique : comme Poirot, il est vaniteux, doté d’un esprit d’observation extrêmement développé et il n’a que du mépris pour les méthodes habituelles de la police. Jane y ajoute de la ruse et de l’insolence. Aux proches du défunt en deuil, il pose la question qui dérange, il ment en permanence, manipule sans distinction victimes, coupables et ses propres collègues et il n’obéit que très rarement aux ordres de ses supérieurs. Tel un Philip Marlowe, autre personnage sans considération pour l’autorité, il avance par des hypothèses parfois surprenantes, sans avoir de preuves. L’essentiel pour lui est de faire tomber les masques de tous ces autres vaniteux qu’il rencontre. Trouver le coupable ne semble avoir qu’une importance secondaire.


Médium médiatique
C’est que Jane cherche autre chose. Derrière son comportement irrespectueux et en apparence jouissif, se cache un homme meurtri mais très déterminé. Dans une vie antérieure, il fut « médium » : il disait pouvoir communiquer avec les défunts et il exploitait ce « talent » sans scrupules, au point de devenir une personnalité médiatique. Mais son arrogance et autosuffisance l’ont fait trébucher lorsqu’il prétendit publiquement connaître l’identité d’un célèbre tueur en série, « Red John ». Ce dernier répondit du tac au tac à Jane en assassinant sauvagement sa femme et sa fille. Jane n’a désormais qu’un seul but : démasquer et tuer celui qui lui a enlevé le sens de sa vie.

« Blake Association »
Mais Red John n’est pas un assassin ordinaire. Certains l’ont comparé au célèbre tueur en série médiatisé « Zodiac » qui terrorisa la région de San Francisco à la fin des années 1960 et qui n’a jamais été officiellement identifié – David Fincher en a tiré un film glaçant en 2007. Red John a encore une autre dimension. Il a des disciples qui agissent en son nom, qui transmettent ses « bonnes paroles » et qui sont mêmes prêts à mourir pour lui. Leur code de reconnaissance est constitué par les premiers mots d’un poème de l’Anglais William Blake, « The Tyger ». Leur criminelle confrérie s’appelle d’ailleurs la « Blake Association. »

« Redoutable Symétrie »
John – son adjectif « red » est bien sûr choisi pour ajouter la note sanguinaire – a donc pour principal adversaire un homme qui lui ressemble quelque part et qui use en partie des mêmes techniques que lui. Jane et Red John seraient-ils ainsi comme deux frères jumeaux ? Le poème « The Tyger » semble le suggérer, en parlant d’une « fearful symmetry » ( William Blake écrit toute son œuvre poétique en forme de dialogue, un dialogue avec son frère, disparu très jeune.)
Red John tente même, à travers sa disciple Lorelei (!) de mettre Jane dans son camp et les suspicions de connivence entre les deux existent dès le départ, notamment au sein du FBI, organisation concurrente du CBI.


« Cliffhangers »
C’est dans l’affrontement entre Jane et John que The Mentalist prend sa véritable ampleur. À partir de la fin de la saison 3, la série gagne en tension, en complexité et surtout en imprévisibilité. Le ton faussement léger du récit et le comportement jouissif de Jane passent progressivement au second plan. C’est particulièrement sensible dans la saison 6, actuellement diffusée par TF1 où l’on ne compte plus les développements inattendus, les suspens terminaux (« cliffhangers ») et autres renversements de situation. On est loin du réalisme d’une série policière américaine ordinaire : plutôt un univers tirant vers le fantastique à la David Lynch, où l’on n’est sûr de rien ou de personne, où l’allié du moment peut se révéler le lendemain comme l’ennemi mortel, où le coupable n’est pas celui que l’on croit et où la solution, après un court espoir, semble de nouveau s’éloigner. Bref, on est dans un cauchemar perpétuel.

Critique sociétale
The Mentalist n’est-il donc finalement que ce combat entre le mal (Red John) et le… moins mal (Jane), une pure fiction psycho-fantastique sans moralité ni rédemption, ni véritable lien avec la réalité ? C’est mal connaître le cinéma et la fiction télévisuelle américains qui, aussi formatés soient-ils, exigent ce lien avec la réalité ressentie par les Américains, un lien qui vire souvent à la critique sociétale. La série paraît refléter une guerre entre les différents services de sécurité américains, CBI, FBI et aussi le« Homeland Security » – créé par l’ancien Président Bush après les tragiques événements de « 9-11 » – mais le véritable sujet est une forme de paranoïa américaine.

« Unhappy people »
Paranoïa réciproque des deux personnages principaux. Paranoïa des organisations de sécurité qui voient le danger partout. Paranoïa aussi de l’Américain « ordinaire » craignant surtout pour sa sécurité. Le tout au nom de la sacrosainte liberté mais dont il ne reste finalement qu’un simulacre. « Just a lot of unhappy people » dit l’agent Cho, collègue de Patrick Jane ; on voit dans The Mentalist des gens mal dans leur peau qui n’agissent que par le mensonge, la violence et le crime et qui sont la manifestation d’une société malade et sans repères.

Un tableau évidemment excessif, mais qui met bien en lumière la puissance de la peur dans la société américaine. Et le talent de sa télévision pour la transformer en série à succès mondial.


Source trop-libre.fr

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