mardi 14 juillet 2020

Photos-World Press Photo 2014

World Press Photo 2014


World Press Photo 2014 John Stameyer/VII

 John Stanmeyer a remporté le World Press Photo 2014.

L'esthétique du désespoir.
Le prestigieux prix de photojournalisme décerné cette année à une image léchée et magnifiée comme celle d'une pub ? Pas si simple.
Quelle idée saugrenue, quel excès de substances illicites (le jury se réunit à Amsterdam, ne l'oublions pas) ont fait que cette année, c'est une image de pub qui a remporté le World Press Photo, le prix le plus prestigieux pour la photo de presse ? On imagine sans mal que ce fut là, la première réaction de beaucoup d'observateurs en découvrant l'image primée. Une image publicitaire jusqu'à la caricature : des silhouettes d'hommes, fines et élégantes, sur un fond de ciel bleu saturé à l'excès tendent leurs téléphones vers une lumière dans le ciel comme un raccourci vers la lumière. Le dernier Samsung ? Le prochain iPhone ? Etrange ! Manquent le slogan, le logo, le message.

On en vient donc à s'interroger sur le sens de cette image. Après une rapide vérification que les jurés travaillent bien pour des agences photos ou dans des rédactions et non pas dans des agences de pub ou à l'édition de réclames, nous voilà contraints de lire la légende qui l'accompagne. « Sur les rivages de Djibouti, des migrants venus d'Afrique tendent vers le ciel leurs téléphones portables dans l'espoir de capter un signal bon marché de la Somalie voisine pour pouvoir contacter leurs parents ou leurs amis restés sur place. Djibouti est un passage obligé pour les candidats à une vie meilleure au Moyen-Orient ou en Europe venant de Somalie, d'Erythrée ou d'Ethiopie. »

L'atterrissage est douloureux. Nous étions confortablement installés dans l'univers d'une image rassurante. Et tout à coup, le réel remonte à la surface, avec d'autant plus de violence que ce n'est pas ce que nous imaginions, pas vraiment ce que nous attendions. Et c'est là, sans doute, dans cette ambivalence, que réside la force de l'image signée John Stanmeyer de l'agence VII : elle nous donne à voir, à contretemps, avec douceur, sur le ton de la séduction, la souffrance, la misère, en se jouant de notre crédulité et non plus de notre sensibilité. Ces hommes qui fuient leur pays nous sont tout à coup familiers. Rendez vous compte ! Comme nous, ils ont des téléphones portables. Comme nous, ils appellent leur famille et, comme nous, ils cherchent le réseau le moins cher.


John Stameyer

Zone d'inconfort
Cette photo a été commandé par le National Geographic, journal américain, populaire et familial, qui soigne particulièrement les images qu'il publie. Dans le même sujet au cours duquel le photographe et le journaliste ont le projet, partant d'Ethiopie, de refaire le chemin emprunté par les hommes depuis les origines, on peut voir la photo du cadavre d'un homme mort dans sa tentative de traversée du désert.


Out of Eden © John Stanmeyer

Le jury du World Press a décidé de récompenser une image qui nécessite une légende pour être comprise. Ce n'est pas une première. On se souvient de la photo d'Anthony Suau de 2008 d'un policier américain, arme au poing, dans une maison dont les habitants avaient été expulsés en écho à la crise des subprimes ou celle de Pietro Masturzo, à peine lisible, de ces gens qui criaient sur les toits de Téhéran en 2009 leur opposition et leur indignation face au pouvoir qui leur avait volé le résultat des élections.. Nous n'avons pas oublié non plus la femme en 1997 qui criait sa douleur à l'hôpital d'Alger apprenant que toute sa famille avait été massacré à Benthala.


 World Press : Photo de l'année 2008 © Anthony Suau


World Press : Photo de l'année 2009 © Pietro Masturzo 


World Press : Photo de l'année 1997 © Hocine Zaourar/AFP Image Forum

Dans ces exemples où l'esthétique était très prégnante, la question se posait de savoir où nous étions, ce qui se passait ou ce qui était arrivé? Avec ces images, les photographes nous interrogent, nous obligent à aller vers l'information, à la chercher, à la comprendre. Ils ne se contentent pas juste de nous la délivrer et de nous conforter dans des représentations rassurantes qui parfois deviennent des clichés.
Ils envisagent leur métier avec cette double ambition de nous rendre le monde visible et de se jouer de la manière dont nous le percevons. Ils ont compris que cela ne suffit plus d'être au bon endroit au bon moment et de témoigner en mode binaire de ce que devient le monde. Ce ne sont pas forcément les images qui se vendent le mieux, ce sont celles qui nécessitent un accompagnement éditorial ambitieux et complexe. Il est juste que le World Press en récompensant leur travail, les place quelques instants, à leur tour, dans la lumière.

 Source Télérama

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