vendredi 24 janvier 2014

Billets-Internet au bureau : la pause cachée


Internet au bureau : la pause cachée

Envie de s'évader au boulot ? Hop, un petit tour en douce sur YouTube, une chanson sur Deezer… Ces pratiques affectent-elles vraiment la productivité ?

C'est le cauchemar des responsables de ressources humaines et le genre de témoignage qui s'arrache comme un aveu : un financier d'une entreprise de développement durable qui rattrape les épisodes de Game of thrones au bureau à l'heure du déjeuner. Un chercheur du CNRS qui regarde toute la journée des clips sur YouTube en attendant le résultat de ses expériences de laboratoire. Un commercial de société viticole qui télécharge illégalement des albums et des films sur son ordinateur professionnel. Sans compter la foultitude de camarades publicitaires, architectes ou journalistes (on ne donnera pas de noms !) qui ne travaillent jamais mieux qu'avec un casque audio sur les oreilles – la faute aux bruits parasites de l'open space –, inspirés par le dernier album d'Etienne Daho ou d'Arcade Fire…

Sur Spotify, dix-huit millions de chansons sont écoutées chaque jour en streaming entre 16 et 17 heures. Le pic d'audience mondial se situe le jeudi après-midi, où les salariés – « fatigués par la semaine », suggère une responsable du site – peaufinent leur playlist du week-end. On peut crier au scandale de la glande au bureau. Ou se féliciter au contraire qu'on y découvre enfin des artistes ! Et si l'open space était devenu le nouveau lieu de la culture clandestine ?

Spécialisée dans le filtrage Internet, l'entreprise Olfeo calcule qu'un salarié passe en moyenne cinquante-trois minutes par jour sur Internet au bureau pour un usage personnel – l'équivalent de « six semaines de congés en plus » sur l'année ! En tête des sites les plus visités en douce, Facebook et YouTube, mais aussi le site de France Télévisions, qui entre cette année dans le Top 20.

La consommation de vidéos en streaming concerne souvent le sport ou le divertissement – la dernière demi-finale de Roland-Garros, entre Tsonga et Ferrer, a attiré cinq cent mille internautes, en direct, un vendredi après-midi – mais de plus en plus de documentaires ou de séries sont également visionnés dans la journée. En 2013, le nombre de vidéos consultées en rattrapage sur le site d'Arte a augmenté de 41 % (en tête, la série Real Humans, avec trois cent vingt mille visionnages, devant Top of the lake et le documentaire The Gate­keepers). Bien sûr, dans le lot, il doit aussi y avoir des chômeurs, des parents au foyer, des travailleurs de nuit…
Est-ce légal ? La plupart des sociétés autorisent une consommation « raisonnable » d'Internet pour usage personnel, mais bloquent en parallèle certains sites. Impossible de se connecter à Deezer quand on travaille chez EDF. Les financiers de BNP-Paribas n'ont quant à eux le droit de surfer sur Facebook et YouTube que pendant la pause déjeuner et après 18 heures.

Créée il y a dix ans, la société Olfeo filtre aujourd'hui deux millions de salariés français, principalement employés dans de grandes entreprises (Air France, Sodexo, ING Direct…), des hôpitaux, des municipalités… Mais si la connexion est bridée, rien n'empêche de contourner les logiciels de filtrage et les pare-feux, voire d'écouter de la musique directement sur son téléphone (en octobre dernier, la cour d'appel de Colmar a jugé que cette pratique ne constituait « ni une faute grave ni une cause sérieuse de licenciement »).

De fait, l'usage se répand dans les bureaux, où l'on peut boucler son dossier comptable ou son PowerPoint en écoutant Stromae ou Rihanna. Certains DRH admettent que la musique peut avoir des vertus stimulantes, même si le fameux « effet Mozart » (écouter Mozart rendrait intelligent), très à la mode dans les années 90, est aujourd'hui largement contesté.

Dans un communiqué, Spotify s'appuie sur les travaux d'une chercheuse anglaise pour promouvoir des playlists adaptées au travail, jurant que Miley Cyrus et Justin Timberlake ont « un effet relaxant, propice aux pensées logiques » (sic). Est-ce que ça marche aussi pour Je ne veux pas travailler, de Pink Martini, et Don't talk to me about work, de Lou Reed ?


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