mercredi 22 janvier 2014

Billets-Entretien avec Oliver Sacks


Entretien avec Oliver Sacks

Pour le neurologue, la médecine est un roman, les patients en sont les fabuleux personnages. A 80 ans, il explore toujours les ressources fascinantes du cerveau.

« Quel titre étrange ! » s’exclame Oliver Sacks quand on lui apprend que son livre, simplement intitulé en anglais Hallucinations, se nomme en français L’Odeur du si bémol (1). Il nous montre l’édition tchèque de son douzième ouvrage, s’émerveillant de la beauté de sa couverture. A New York, depuis son bureau-appartement de Greenwich Village, où turbine la Sacks Team – dont la légendaire assistante Kate Edgar, à qui sont dédiées ces Hallucinations –, le neurologue né à Londres en 1933 tient le monde dans sa main.
Entre ses collections de minéraux, ses partitions de piano, ses loupes et ses carnets, le scientifique fabuliste est comme un poisson dans l’eau. Au fil des années, le corps du médecin s’est détérioré, et il n’en fait pas mystère : une jambe fauchée par un taureau (Sur une jambe), un œil endommagé par un mélanome (L’Œil de l’esprit), mais sa fantaisie et son énergie restent vivaces. Ses contes cliniques voyagent dans les arcanes de l’esprit humain : qui se cache dans le cerveau de Sacks ? Un artiste humaniste, médecin et écrivain très populaire.

  • Vos parents étaient médecins. Est-il vrai que votre mère vous a appris à disséquer des corps humains ?
Oui, et je ne rechignais pas à le faire ! Je sais que cela paraît atroce aujourd’hui, mais à l’époque, cela ne semblait pas si fou ou si cruel ! Flaubert aussi, enfant, regardait son père disséquer. Un jour, j’ai réussi à obtenir d’un pêcheur un énorme poulpe, que j’ai d’abord gardé en vie dans une baignoire d’eau de mer, avant de me décider à le découper. La dissection était un acte d’amour, si je puis dire… Cet intérêt pour la biologie marine s’est développé très tôt, et j’ai, toute ma vie, pratiqué la plongée sous-marine.
En ce moment, je travaille à un éloge des invertébrés, et j’irai bientôt dans une station de biologie marine rendre visite à mes amis la seiche, la pieuvre et le calamar. J’ai besoin de voir, de toucher. Je suis quelqu’un de concret. Ce qui m’intéresse, c’est la question du vivant. J’aime tracer, de bas en haut, le développement du système nerveux, et comprendre le fonction­nement des neurones, qu’il s’agisse de ceux des méduses ou des hommes. Cette continuité du vivant me passionne. D’où mon goût aussi pour la botanique.

  • Pourquoi faites-vous des hallucinations une part si importante de la condition humaine ? Et pourquoi nous effraient-elles ? Elles ont mauvaise réputation, mais deviendraient presque amicales, sous votre plume…
Leur mauvaise réputation vient de votre compatriote, le grand psychiatre français Jean-Etienne Esquirol. Au début du XIXe siècle, il a appliqué le mot « hallucinations » aux voix entendues par les fous et à leurs visions. Avant lui, le terme n’était pas connoté. On en parlait librement : William Blake, par exemple, dépeint tout le temps ses hallucinations. Ces dernières pouvaient être le signe d’un rapport passionné à la religion ou de l’inspiration saisissant le poète. Elles ont été pathologisées dans les années 1820-1830. Le premier grand livre sur le sujet a été écrit par un autre Français, Alexandre Brière de Boismont, qui était d’ailleurs bien en peine de différencier les hallucinations relevant de la folie d’autres formes plus bégnines. J’ai moi aussi été confronté à cette difficulté.

  • Dans vos textes, vous donnez des aperçus de votre vie. Vous considérez-vous comme un personnage, un patient ?
Je suis un être humain comme un autre. Je peux donc aussi devenir un exemple. Et décrire ce qu’est une migraine visuelle… Dans Migraine, j’ai utilisé ma propre expérience, mais me suis donné un numéro : le numéro 75. Quand le projet du film de Penny Marshall adapté de mon livre L’Eveil est né, après la pièce qu’en avait aussi tiré Harold Pinter, Une sorte d’Alaska, les producteurs voulaient que j’en sois l’un des personnages. Je leur ai conseillé de se focaliser plutôt sur les patients. Ils m’ont rétorqué que je faisais partie de la vie des malades et qu’il fallait montrer cette interaction. Je leur ai juste demandé qu’ils ne donnent pas mon nom au médecin, interprété par Robin Williams. Nous sommes devenus proches.
 

Source telerama.fr

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