lundi 2 décembre 2013

Billets-La fluidité sexuelle


La fluidité sexuelle

Expériences lesbiennes de plus en plus fréquentes: qu’est-ce que la fluidité sexuelle?
16% des femmes britanniques interrogées déclarent avoir eu des relations homosexuelles, sans pour autant se qualifier de “lesbiennes”. Cette fluidité de la sexualité se généralise, portée par des discours tels que celui de Chirlane McCray, épouse du nouveau maire de New York Bill de Blasio.

De 1,8% à 8%. L’écart est flagrant. En 20 ans, le pourcentage de femmes britanniques déclarant avoir eu des relations sexuelles avec une autre femme a plus que quadruplé. Ces chiffres proviennent de l’étude National Survey of Sexual Attitude ans Lifestyles (Nastal) réalisée sur trois périodes : 1990-1991, 1999-2001, 2010-2012, avec plus de 45 000 participants.
Et cette proportion augmente encore plus lorsque l’on considère la catégorie plus large “avoir une expérience avec une personne du même sexe”, sans forcément de “contact génital”. Dans cette catégorie, elles sont 16% à admettre en 2010-12 avoir eu des expériences homosexuelles, contre 4% en 1990 et 10% en 1999-2000.
A l’inverse, le pourcentage chez les hommes est quasiment le même depuis 20 ans : 6% en 1990-91, 7% en 2010-2012. La professeure Kaye Wellings, de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, qui a participé à l’étude, explique cette différence au International Business Times :
“Ces tendances doivent être appréciées à la lumière des profonds changements concernant la position des femmes dans la société, les normes qui gouvernent leur mode de vie et la représentation de la sexualité féminine.”



S’il y a peu de chances que les comportements aient changé au cours de ces vingt dernières années, c’est ainsi plutôt la parole des femmes qui a tendance à se libérer. Toutefois, affirmer avoir eu des relations sexuelles avec au moins une personne du même sexe ne revient pas forcément à accepter l’étiquette “homosexuel”. On appelle ça la fluidité sexuelle.
  • Le cas Chirlane McCray, “l’ancienne lesbienne”
Le 5 novembre dernier, le monde découvrait Chirlane McCray, la femme du nouveau maire démocrate de New York Bill de Blasio. Aux Etats-Unis comme de l’autre côté de l’Atlantique, les médias ne se sont pas privés pour la qualifier “d’ancienne lesbienne”, une expression surprenante qui éveille naturellement la curiosité du badaud.
Cette information sur le passé de cette New-Yorkaise de 59 ans a été publiée en décembre 2012 par un journaliste de The Observer, qui avait retrouvé une tribune de sept pages de Chirlane McCray, dans le magazine Essence daté de 1979, intitulée “Je suis une lesbienne”. Elle y expliquait clairement “qu’accepter [sa] vie en tant que lesbienne a été plus facile pour [elle] que pour beaucoup d’autres“.
Le papier, rapidement repris par d’autres médias, n’a pas tardé à être utilisé contre Bill de Blasio pendant la campagne pour la municipalité de New York. “On présentait le passé de sa femme comme une faiblesse“, explique aux Inrocks le sociologue Arnaud Alessandrin. “Une manière d’attaquer Bill de Blasio et le délégitimer. Sauf que c’est en fait devenu une force.”
Chirlane McCray a en effet immédiatement répondu à The Observer en des termes particulièrement simples :
“Dans les années 1970, je m’identifiais comme lesbienne, et en tant que lesbienne j’ai écrit sur ça. En 1991, j’ai rencontré l’amour de ma vie, et je l’ai épousé.”
  • “Je suis plus qu’une étiquette”
S’identifier en tant lesbienne en 1979 et tomber amoureuse d’un homme en 1991 : voilà qui semble simple, mais a en fait généré de nombreuses questions. Dans le but, probablement, de “simplifier” les choses, certains médias se sont contentés de la qualifier “d’ancienne lesbienne“, voire de lesbienne tout court.
Sauf que Chirlane McCray l’a clairement expliqué, dans une interview au magazine Essence en mai 2013 :
“Je suis plus qu’une simple étiquette. Pourquoi les gens veulent-ils tellement mettre des labels sur le degré où l’on se trouve sur le spectre de la sexualité ? Les étiquettes mettent les gens dans des boîtes, et ces boîtes ont la forme de cercueils. (…) Comme le dit mon amie Vanessa : ‘ce n’est pas qui tu aimes qui importe, c’est que tu aimes’.”
  • La frontière poreuse entre hétérosexualité et homosexualité
Cette notion de fluidité sexuelle résume l’idée selon laquelle “l’orientation sexuelle est une construction multidimensionnelle et multifactorielle“, comme l’a résumé la sexologue Véronique Vincelli au site Canoe.ca. “Cette fluidité pouvant exister, elle montre bien comment une personne peut découvrir son orientation à travers un continuum d’expériences.
Est-il vraiment plus simple d’utiliser des étiquettes toutes faites, qui ne correspondent pas toujours à la réalité, que de se contenter de la formulation: “la sexualité est fluide” ?
Pour Shiri Eisner, auteure du livre “Bi : Notes for a Bisexual Revolution” contactée par les Inrocks, parler de Chirlane McCray comme d’une “ancienne lesbienne”, revient “à vouloir marquer la limite entre l’hétérosexualité et l’homosexualité”. Et la chercheuse en gender studies de continuer :
“Pourtant, la vie de McCray montre que cette frontière n’est pas aussi clairement tracée que ce que la culture de masse laisse à penser. Cela montre une peur : que les hétérosexuels aient le potentiel de tomber amoureux de personnes de genres différents. Ce nouveau concept crée de l’anxiété. Et pour calmer cette anxiété, les médias utilisent des termes binaires, pour essayer de découper la vie et les expériences de McCray en deux termes distincts et clairs : ‘lesbienne’ pour le passé, ‘hétérosexuel’ pour sa relation actuelle.”
Attention tout de même : la notion de fluidité sexuelle ne signifie pas que tout le monde peut, et va être attiré par des personnes de genres différents au cours de sa vie. Elle a toutefois de plus en plus tendance à se généraliser et à être acceptée, surtout chez les femmes, qui hésitent moins à parler de leurs expériences homosexuelles, tout en n’acceptant pas l’étiquette “homosexuelle” ou “bisexuelle”. A quand l’équivalent chez les hommes ?

Photo Penélope Cruz et Scarlett Johansson dans "Vicky Cristina Barcelona" de Woody Allen
Source lesinrocks.com

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