samedi 28 septembre 2013

Billets-La pub Shalimar


La pub Shalimar

On a essayé de comprendre ce que pouvait bien raconter la pub Shalimar
Diffusée dans les cinémas, une luxuriante publicité pour le parfum Shalimar déclenche la colère des spectateurs.

Il est rare de voir une publicité sifflée et huée au cinéma. C'est pourtant ce qui est en train d'arriver à la dernière réclame du parfum Shalimar de Guerlain, qui suscite une avalanche de papiers meurtriers. Diffusé juste avant le film, cet incroyable court-métrage de 5 minutes 46 est un concentré d'essence de symbolisme torride dont chaque seconde a coûté pas moins de 11 000 euros.

De quoi parle ce film ? Personne ne sait vraiment. Essayons ensemble d'y voir plus clair en revenant à l'essentiel : l'histoire. A l'origine, cette œuvre conte la « légende de Shalimar », très inspirée de la destinée de la princesse indienne Mumtaz Mahal, morte après avoir donné naissance à son quatorzième enfant, et pour qui son mari, le Shah Jahan, fit ériger, en toute modestie, le mausolée du Taj Mahal. L'amour sans mesure. Fort logiquement, l'action se déroule en Inde, le pays du cricket (mais bien avant son invention), des sitars et des pigeons qui volent au ralenti (sur une musique vibrante de Hans Zimmer proche, selon les sensibilités, du Lacrimosa de Mozart ou de l'hymne de la Ligue des Champions).

Que voit-on à l'écran ? Une sublime princesse (Natalia Vodianova) censément morte en couches qui passe énormément de temps à pavaner ses 45 kilogrammes de blondeur et d'iris translucides dans une salle de bain grande comme le Porte-avion Charles De Gaule et un empereur (Willy Cartier) énamouré à la mâchoire taillée à la serpe qui chevauche – cils surkhôlés au vent – tout le pays pour retrouver sa belle et jeter dans un lac un flacon de parfum aux pouvoirs incroyables à côté duquel la gourde de potion magique d'Astérix ne vaut pas tripette.

La suite ? Eh bien, c'est à peu près tout. Pendant 5 minutes 46 secondes à 11 000 euros la seconde il ne se passe rien d'autre : l'empereur chevauche dans les montagnes et la poussière et les chemins, croise les éléphants d'Hannibal, se tache le visage de boue comme un gros cochon, tandis que les pigeons volent au ralenti et que la princesse, quand même très jolie pour une multipare morte après 14 grossesses, prend des bains dans un maillot une pièce en métal ou une fontaine de bijou métallique, on ne sait plus. C'est froid, c'est beau, la princesse se caresse beaucoup et l'empereur est élégant sur son cheval blanc. A la fin, quand même, après cinq minutes de chevauchée sans encombre, sans humour, sans astuce, il se passe un truc.


Shalimar de Guerlain. © DR

L'empereur Drogo retrouve sa princesse Khaleesi. Il ne lui parle pas. Elle ne lui dit pas qu'il a des tâches de boue sur le visage. Ils s'embrassent. Mais ils s'embrassent bizarrement, comme si l'un des deux avait marché dans une crotte de chien et que personne ne voulait rompre le charme en parlant du problème. Juste après, l'empereur affiche un minuscule sourire sûr de lui du mec qui va pécho et applique la stratégie de tout bon dragueur. Il jette d'un geste auguste le contenu du fameux flacon dans le lac avant de proposer à la princesse de faire un tour de barque. Laquelle avance toute seule. Probablement grâce à un système de motorisation sophistiqué caché sous la coque. La princesse semble un peu effrayée parce que le prince ne vient pas avec elle, parce qu'elle est morte aussi après tout, même si l'image indique le contraire, même si tout n'est ici que métaphore et symbole.

Et là, attention, coucou, méga-surprise : soudain, le Taj Mahal sort de l'eau. CADEAU. On pourra ergoter sur la logique de construire un Taj Mahal sous l'eau pour finalement le faire émerger. L'amour a ses raisons que la raison ne connaît pas, même quand elle cherche sur Google. D'ailleurs, nonobstant la touche de sexisme, la musique un brin pompière, la pesanteur appuyée d'un symbolisme qui, en poudre, déboucherait facilement les éviers et l'étalage un tantinet immodeste d'un luxe clinquant pendant six minutes, c'est une très belle histoire que cette légende de Shalimar. Selon ses concepteurs, ce « chef-d’œuvre » raconte même « la plus belle histoire d'amour de tous les temps ». On veut bien les croire, même si l'histoire de la famille de Claude-Michel avec Pounette, son épagneul breton, 19 ans d'amour sans nuage, aurait pu aussi donner un très beau film.

Photo Shalimar de Guerlain. © DR
Source Nicolas Delesalle Télérama

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