mercredi 25 septembre 2013

Billets-Entretien avec Nicolas Hulot


Entretien avec Nicolas Hulot

De “Ushuaïa” à l'Elysée, il a fait du chemin. Mais l'“ambassadeur” de l'écologie, nommé par François Hollande, a fort à faire pour imposer ses idées.
  
On l'a connu animateur-cascadeur sur TF1 (et la casquette lui colle encore à la peau), président d'une fondation (Nicolas Hulot pour la nature et l'homme), lobbyiste star de l'écologie, initiateur du Pacte écologique, en 2007, auteur et cinéaste engagé (Le Syndrome du Titanic), candidat à l'élection présidentielle Mille vies déjà et, à 58 ans, Nicolas Hulot s'en invente une nouvelle.
En décembre 2012, François Hollande lui a proposé de devenir envoyé spécial pour la protection de la planète, il a dit banco. De ce long cheminement, il s'explique dans un livre très personnel, où il revient en détail sur l'échec de son incursion en politique, rend un bel hommage à ses années d'aventurier aux quatre coins du monde, avec l'équipe d'Ushuaïa. Et martèle l'urgence du combat écologique, à quelques semaines de la sortie du cinquième rapport – plus alarmiste que jamais – du Giec sur le réchauffement climatique.

  • Pourquoi revenir aussi longuement sur Ushuaïa aujourd'hui ?
Ma vie ne se résume pas à Ushuaïa mais c'est une partie importante. C'est là que se sont greffés mes convictions, mes espoirs, mes désespoirs et mon engagement. Ushuaïa m'a aussi donné la notoriété et la confiance d'une partie des Français, qui m'ont permis de faire avancer les choses. Mais quand je vais aller au Nicaragua ou en Corée du Sud, mon sésame, dorénavant, c'est ma mission diplomatique.

  • Après avoir joué le perturbateur à l'extérieur du système, vous avez accepté cette mission d'envoyé spécial. Pourquoi ?
J'ai atteint mon seuil d'efficacité en France. Pour obtenir plus – de grandes réformes de fond pour une réelle transition écologique –, il faut changer d'échelle. J'ai décidé de travailler sur la mise en réseau au niveau international. Dans le contexte actuel, la France ne pourra pas aller bien loin sur ces sujets si l'on ne crée pas des coalitions, en Europe et au-delà.
Avec cette mission bénévole, et tout en restant président de ma fondation, j'ai un pied dedans et un pied dehors, ce qui préserve ma liberté. Dans le cadre de ma fondation, je poursuis l'élaboration de propositions concrètes de politiques publiques, d'information, d'actions de terrain qui, à défaut de changer le monde, changent la vie des gens. C'est à ce titre que j'assisterai à la Conférence environnementale les 20 et 21 septembre 2013.

  • Qu'en attendez-vous ?
Beaucoup, tant le chantier est immense, et pas grand-chose, car je suis lucide. Aura-t-on des arbitrages ambitieux sur la question énergétique ? Je n'en sais rien. La « contribution climat énergie » [dite aussi « taxe carbone »] va-t-elle vraiment être décidée et avec quel dispositif ? Où en est-on sur l'Agence de la biodiversité ? En revanche, j'attends beaucoup de certains thèmes à l'ordre du jour, comme l'économie circulaire.

  • C'est-à-dire ?
La révolution industrielle nous a fait entrer dans l'ère de l'économie linéaire, pour puiser des ressources, les transformer, les consommer et les jeter. Cela a plutôt bien fonctionné puisque nous sommes sortis du XXe siècle avec un niveau de vie globalement supérieur. Mais cette économie s'est bâtie sur la croyance que les ressources étaient abondantes. Ce n'est plus le cas.
L'économie circulaire cherche à créer des boucles vertueuses : réduire l'extraction de ressources naturelles, concevoir des produits non toxiques qui pourront être réparés, mutualisés, réutilisés et déconstruits plutôt que détruits, afin que les déchets puissent redevenir des ressources et être à nouveau intégrés dans la production plutôt qu'être mis en décharge ou incinérés. C'est une économie qui se développera beaucoup à l'échelle des territoires et créera de l'emploi.

  • Mais vous n'avez pas l'impression de servir de caution verte, face à un gouvernement aussi peu écolo ?
J'ai toujours dit que les grandes formations politiques n'avaient pas fait leur mue écologique. Il n'y a pas de remise en cause du modèle économique à l'origine de cette crise écologique. La dernière campagne – gauche et droite confondues – a été catastrophique sur le plan environnemental, et celle d'EELV (Europe Ecologie-Les Verts), calamiteuse.
Aujourd'hui, le contexte est encore moins favorable que sous Nicolas Sarkozy. La crise économique, les urgences sociales rendent le traitement de la crise écologique encore plus difficile. Par ailleurs, les socialistes ont historiquement du retard, ayant toujours sous-traité ces enjeux à leurs alliés, Les Verts. Il leur faut un temps d'adaptation. Il y a une part de sincérité chez mes interlocuteurs, mais nous n'avons pas la même lecture de l'écologie. Pour beaucoup, il s'agit d'une option, alors qu'elle est essentielle, y compris pour sortir de la crise économique et sociale.

  • Et François Hollande, qu'en pense-t-il ?
Je suis l'un de ceux qui l'ont convaincu d'accueillir la conférence climat en 2015. Il fallait de l'audace pour accepter, alors même qu'aucun autre pays européen n'a voulu prendre ce risque, et que les conditions d'une réussite ne sont pas rassemblées. Il est conscient du risque et de l'opportunité que cela représente à l'échelle internationale. A-t-il pour autant une vision, est-il prêt à faire les réformes nécessaires ? L'avenir le dira.
Tout le monde en France affirme qu'il faut tenir nos engagements vis-à-vis du protocole de Kyoto, mais qui comprend que la réduction par quatre de nos émissions de gaz à effet de serre impose des mesures importantes ? Quelques politiques dans les deux camps (Michel Rocard, Hubert Védrine, Chantal Jouanno…) en ont conscience, mais ils restent trop isolés. Sous François Hollande, comme sous Nicolas Sarkozy, nous restons dans un conflit permanent entre les enjeux du long terme et ceux du court terme. Mais nous avons tout de même obtenu le moratoire sur le gaz de schiste et l'annonce de la création d'une Agence de la biodiversité.

  • Vous êtes découragé ?
Cela m'irrite de me dire que je porte, avec des milliers de scientifiques, d'ONG, de citoyens, un enjeu universel, qui conditionne l'avenir de nos enfants, et que l'on a un mal fou à se faire entendre. Mais travaillons avec les bonnes volontés, encourageons les alliances ! J'essaie de le faire sur les grandes échéances, et notamment la préparation de la conférence climat de 2015.
Aujourd'hui, parvenir à un accord exigeant pour l'ensemble de la communauté internationale semble difficile. N'y a-t-il pas quelque chose à inventer, avec un groupe de pays ayant des objectifs communs, contraignants et ambitieux, et un deuxième groupe de pays qui, compte tenu de leurs spécificités, auraient des objectifs un peu moindres, décalés dans le temps ? Evidemment, mon premier espoir est en Europe. A vingt-huit, on peut agir.

  • Pascal Durand rêverait de vous voir tête de liste aux européennes en 2014. Cela vous tente-t-il ?
Il y a eu un malentendu entre le parti et moi, la greffe n'a pas pris. EELV a pensé pouvoir bénéficier de ma notoriété et moi de leur envie d'élargir le nombre de citoyens à rassembler. Non seulement ça n'a pas été le cas, mais, en plus, j'ai perdu en crédibilité. Il faut savoir tirer des leçons, sans amertume.

  • Vous ne croyez plus à ce type d'engagement ?
Pas pour moi. José Bové et Daniel Cohn-Bendit sont de très bons députés européens. En revanche, ma mission actuelle m'offre une position inestimable pour poursuivre ce que je sais à peu près faire : convaincre et rassembler. Je l'ai fait en France, je le fais maintenant à une autre échelle, et avec d'autres interlocuteurs. Notre pays dispose de nombreuses ambassades, du troisième réseau diplomatique du monde, c'est un extraordinaire outil, efficace et dévoué, pour faire des propositions, rencontrer les acteurs de terrain, les mobiliser.

  • A vous lire, on se dit que le monde sauvage est moins violent que la scène politique française…
Depuis des années, je rencontre des hommes et femmes politiques de grande qualité mais qui abdiquent souvent leurs convictions au profit d'une inconscience collective. La politique partisane tue la politique. Ce sont des clivages d'une autre ère, les contraintes du XXIe siècle ne sont absolument pas celles du XXe siècle.
Ni la droite ni la gauche ne prennent en compte cette notion de rareté que j'ai évoquée plus haut, contrainte majeure sur nos modèles économiques et nos relations géopolitiques. Le modèle actuel, qui concentre les richesses entre une poignée d'Etats et de multinationales et qui fonde sa croissance, au service des seuls financiers, sur toujours plus d'extraction de ressources naturelles et toujours moins d'emploi, ne peut pas tenir.

  • La Fondation Hulot compte plusieurs multinationales parmi ses mécènes. Que répondez-vous à ceux qui critiquent votre mode de financement ?
J'ai toujours cherché à créer des passerelles et pas des fossés. Peut-on imaginer changer de modèle de société sans travailler avec des acteurs clés ? Par ailleurs, les associations et fondations sont toutes en difficulté, avec des subventions et du mécénat en baisse, alors même que nous participons de plus en plus à l'élaboration des politiques publiques.
Pour agir, il faut des moyens (une trentaine de personnes travaillent dans ma fondation). Et je n'ai pas vendu mon âme au diable : quand je fais le bilan, je pense que nous avons davantage contribué à l'intérêt général que cautionné des intérêts particuliers. Nos mécènes n'entravent pas notre action et certains font des efforts considérables.
Le mécénat de L'Oréal leur a-t-il fait vendre un tube de rouge à lèvres supplémentaire ? Celui d'EDF leur a-t-il permis de multiplier leurs réacteurs nucléaires ? Non. Mes relations avec Henri Proglio sont souvent tendues mais peu importe. J'avoue en revanche une certaine lassitude, voire de l'humiliation, quand François Pinault, Olivier Dassault ou le DG de Danone, Emmanuel Faber, me font lanterner pendant des mois, voire des années, pour au final disparaître avec des promesses qu'ils ne tiendront jamais.

  • Et Vinci, l'opérateur de Notre-Dame-des-Landes ?
Cela aurait été gênant si je n'avais rien dit sur le sujet ! Je n'ai jamais tourné ma langue sept fois dans ma bouche pour ne pas embarrasser un mécène. Par exemple, nous avions lancé une campagne pour privilégier les commerces de proximité. La marque Repères de Leclerc, qui figurait parmi nos donateurs, nous a demandé de la retirer. Nous avons préféré nous priver d'un engagement de trois ans de leur part.

  • On vous reproche parfois de ne pas être assez radical. L'écologie peut-elle s'imposer de façon consensuelle, alors même qu'elle remet en cause le système en place ?
Pour se confronter au « système », encore faut-il sentir que la société soit disponible pour cela, ce qui n'est pas le cas ! On ne descend pas dans la rue pour la planète. L'environnement reste, pour beaucoup, une préoccupation parmi d'autres. Parce qu'il y a la crise, le chômage, le travail incessant des lobbies.
Je ne sens pas aujourd'hui un souffle puissant que l'on pourrait canaliser. Pour avoir un rapport de force, il ne suffit pas de brandir des idées, encore faut-il avoir des troupes, qui ne sont pas là… Autant j'ai pensé qu'il y avait un moment favorable au moment du Pacte écologique, lors de la campagne électorale de 2007, autant aujourd'hui c'est plus difficile.

  • Qu'est-ce qui a changé ?
Les jeunes se démobilisent un peu, ce qui est très inquiétant. Une partie des Français considèrent qu'eux-mêmes ont fait des efforts mais que l'action publique n'a pas suivi : il y a une forme de lassitude. Les écologistes, politiques et associatifs, ont pendant longtemps cherché à mobiliser sur le constat. Mais c'est sur une vision, un projet que l'on mobilise.
A tort ou à raison, les écologistes apparaissent comme des accumulateurs de refus plutôt que comme des producteurs de solutions, capables de donner du désir pour un monde qui intégrerait les enjeux écologiques et sociaux. Ce ne sont pourtant pas les idées et les créatifs qui manquent. Mais les morceaux du puzzle sont disséminés.

  • Pascal Bruckner revient sans cesse à la charge contre les « prophètes de la fin du monde ». Vous vous sentez concerné ?
Selon le prochain rapport du Giec, la moitié des catastrophes écologiques qui affectent l'économie et font des centaines de milliers de victimes sont dues aux activités humaines. Qu'est-ce que Pascal Bruckner répond aux dirigeants de ces petits Etats insulaires qui sont venus me voir à l'Elysée, désespérés ? Et à Hindou Oumarou-Ibrahim, la représentante des peuples sahéliens aux Nations unies, qui dit qu'ils sont déjà dans le tunnel de la mort ?
Je l'invite à aller en Afrique pour constater les conséquences avérées des changements climatiques aujourd'hui. Réduire la préoccupation écologique à un groupuscule anti-progressiste qui n'a comme remède que la décroissance est archaïque. Les chefs d'Etat qui ont reconnu la responsabilité humaine des changements climatiques à Copenhague sont-ils des illuminés ? Et Barack Obama, qui vient de rappeler que ce n'est pas un mythe ? Et le gouvernement chinois, selon lequel le facteur écologique doit être prioritairement pris en compte ?
C'est très facile quand on vit à Paris, loin de toutes ces douleurs, de se gausser de cela. D'autant plus facile que nous sommes dans une période de grand désarroi. Cela permet à des résistants du scientisme de semer le doute dans les esprits, de défendre les intérêts particuliers de certains lobbies. Résultat, 36 % des Français se disent aujourd'hui climato-sceptiques.

  • Les médias ne couvrent pas assez l'écologie ?
Ils sont à l'unisson de ce vaste mouvement de reflux. Après le Pacte, j'avais fait la tournée des médias, rencontré les patrons de presse, mais la mobilisation d'alors est retombée. Pour beaucoup, tout cela n'est pas probant, et plus assez théâtral. Le grand chef Raoni est récemment venu en France, c'était a priori son dernier voyage pour plaider la cause des peuples indigènes en forêt amazonienne. Pas un journal de presse écrite ne s'est intéressé à leur destin, au barrage de Belo Monte… J'ai juste réussi à le faire inviter au 20 heures de TF1.
Je reviens d'Afrique – mon premier voyage officiel sur le dossier des éléphants menacés de disparition –, et je découvre la responsabilité des industries chinoises dans la déforestation. J'en appelle à la mobilisation des médias sur ces enjeux de biodiversité.
Alerter sur la crise écologique est devenu très difficile. Dans l'immédiat, on n'ira pas plus loin. Et si l'on veut aller plus vite, on le fera peut-être à plusieurs, en France et hors de nos frontières. A charge pour moi d'y contribuer. Je ne baisse pas les bras, mais je sais que le temps et les événements seront, hélas, nos meilleurs alliés.

Nicolas Hulot en quelques dates
1987 Présente Ushuaïa, le magazine de l'extrême, sur TF1.
1990 Crée la Fondation Ushuaïa, qui deviendra la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l'homme.
2007 Interpelle les candidats à l'élection présidentielle avec le Pacte écologique.
2009 Réalise le long métrage Le Syndrome du Titanic.
2011 Se présente à la primaire présidentielle écologiste.


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Photo : Julien Mignot pour Télérama
Propos recueillis par Weronika Zarachowicz  (Télérama)

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