samedi 12 janvier 2019

Billets-Anarchisme


Anarchisme

Définir l’anarchisme est une tâche des plus délicates. Nous avons affaire à un phénomène complexe dont les expressions historiques, tant au niveau de la pensée que de l’action, sont multiples. Malheureusement, la plupart des définitions, même celles élaborées par des commentateurs sympathisants, sont simplistes et n’arrivent pas à embrasser l’ensemble de ses caractéristiques.

Dans presque tous les ouvrages que j’ai lus sur le sujet, l’anarchisme est défini de façon négative, c’est-à-dire par ce à quoi il s’oppose. En se basant sur la racine grecque du mot (anarkhia, absence de chef), on présente l’anarchie comme « l’absence de gouvernement » et l’anarchisme comme « l’idée qu’une société peut et doit s’organiser sans gouvernement ». Le problème avec ses « définitions »… c’est qu’elles n’en sont tout simplement pas. Une définition, si je me base sur mon Larousse, est une « énonciation de ce qu’est une chose, de ses caractères essentiels, de ses qualités propres ». Si je dis qu’une pomme n’est pas un animal, personne n’osera dire que j’ai énoncé les caractères essentiels de ce phénomène !
Une définition adéquate de l’anarchisme ne doit pas se limiter à son aspect «critique» mais également en exposer le projet de société ainsi que les moyens de changement social. De plus, il est essentiel d’expliquer les bases philosophiques de l’anarchisme, en particulier sa conception de la liberté et de la nature humaine.

Voici donc ma définition personnelle de l’anarchisme. Comme vous le constaterez, elle comporte quatre parties, qui seront expliquées en détail dans le texte qui suit.
Anarchisme. n.m. Philosophie politique qui, à partir d’une définition tripartite de la liberté et d’une conception spécifique de la nature humaine, offre une critique radicale des liens de domination hiérarchiques, un projet de société antiautoritaire et une stratégie de changement social basé sur l’action directe.
  • La Liberté
Tout comme les libéraux, les anarchistes ont une conception « négative » de la liberté, c’est-à dire que la liberté est l’absence de contraintes. L’individu libre est celui qui n’est pas soumis à des contraintes extérieures à lui-même.

A cette conception négative s’ajoute une conception « positive » de la liberté. Tous les anarchistes considèrent que la liberté est également une potentialité, la possibilité pour l’individu de se réaliser et d’atteindre son plein potentiel.
Enfin, les anarchistes ont une conception « sociale » de la liberté, qui a pour conséquence de lier de façon indissociable la liberté et l’égalité. En effet, l’anarchisme postule que l’individu ne peut être totalement libre qu’au sein d’une société composée d’individus libres. Ainsi, pour Bakounine, « l’homme n’est réellement libre qu’autant que sa liberté, librement reconnue est représentée comme par un miroir par la conscience libre de tous les autres, trouve la confirmation de son extension à l’infini dans leur liberté. L’homme n’est vraiment libre que parmi d’autres hommes également libres ; et comme il n’est libre qu’à titre humain, l’esclavage d’un seul homme sur la terre, étant une offense contre le principe même de l’humanité, est une négation de la liberté de tous. » (Catéchisme révolutionnaire)
  • Une critique de la société actuelle
Toutes les variantes de l’anarchisme ont en commun une critique des sociétés contemporaines qui se base sur des principes antiautoritaires découlant de leur conception de la liberté.

Les anarchistes contestent tous les rapports de domination hiérarchique, de quelque nature qu’ils soient (oppression de classe, de race, de sexe, d’orientation sexuelle, domination de la nature, etc.). La critique anarchiste s’étend à toutes les institutions oppressives, église, armée, police, etc., et en tout premier lieu l’Etat, qu’ils considèrent comme l’institution suprême de domination.

L’étendue de cette critique est d’ailleurs un des facteurs qui distingue l’anarchisme du marxisme. Comme l’a fait remarquer Henri Arvon, l’anarchisme conteste l’oppression autant que l’exploitation, l’autorité autant que la propriété et l’Etat autant que le capitalisme. Ceci explique pourquoi plusieurs écologistes, féministes, pacifistes, syndicalistes et militants pour les droits de la personne sont attirés par l’anarchisme.
  • Un projet de société libertaire
Est anarchiste toute idéologie dont le projet de société, appelé « anarchie », est déterminé par cette conception de la liberté. Ce projet varie selon les types d’anarchisme, mais la plupart prescrivent des structures de sociales non-hiérarchiques, radicalement démocratique et décentralisées.

Pour les individualistes, la société n’est pas un organisme mais une simple collection d’individus autonomes. Pour satisfaire son intérêt personnel, l’individu peut s’unir aux autres et s’associer, mais cette association ne reste qu’un moyen pour servir sa fin.

Les anarcho-syndicalistes sont les héritiers du collectivisme de Bakounine. Selon leur vision de la société anarchiste, les syndicats exproprient le capital et chaque groupe de travailleurs disposent de ses propres moyens de production. La répartition des produits et des services est alors l’objet d’une décision collective.

Finalement, les anarcho-communistes (ou communistes libertaires, ou communistes anarchistes) prévoient l’établissement de communautés (communes) autogérées où tous travailleraient selon leurs capacités et tous consommeraient selon leurs besoins. Ces communautés sont fédérées pour exécuter en coordination des projets les concernant.
  • La nature humaine
Les anarchistes ont aussi en commun une perception de la nature humaine qui justifie la viabilité d’une telle société libertaire.

Cette perception n’est toutefois pas la même chez tous les anarchistes. Par exemple, Kropotkine considérait que l’instinct de coopération d’aide mutuelle prédominait chez toutes les espèces animales et trouvait son incarnation parfaite chez l’humain. Mais la plupart des anarchistes ont plutôt développé une conception existentialiste de la nature humaine, estimant que les comportements humains s’adaptent aux structures et aux normes sociales.

Quoi qu’il en soit, tous sont parfois d’accord pour dire que l’humanité a la capacité de vivre et de se développer sans être soumise à des institutions hiérarchiques et répressives.
  • Une stratégie de changement
Enfin, les anarchistes ont en commun d’offrir une stratégie de changement révolutionnaire impliquant l’institution immédiate de l’anarchie. Ils s’opposent tous aux stratégies autoritaires (dictature du prolétariat) ainsi qu’à la formation de partis hiérarchisés, et sont généralement abstentionnistes lors des élections. Les anarchistes croient en la spontanéité révolutionnaire et préconisent l’action directe, qui peut prendre plusieurs formes.

C’est au sujet des stratégies de changement que les anarchistes sont le plus partagés. Par exemple, certains ont préconisé, principalement lors des deux dernières décennies du XIXe siècle , une forme de terrorisme appelée « propagande par le fait ». Mais après une vague d’attentats individuels qui n’ont mené qu’au rejet populaire de l’anarchisme et à un regain de répression, cette stratégie a été abandonnée par les anarchistes. Les anarcho-communistes insistent quant à eux sur l’action communautaire, sur la formation d’institutions libertaires sur une base locale qui pourront renverser et remplacer l’ordre capitaliste et étatique. Les anarcho-syndicalistes axent leur stratégie sur le syndicat, qui est conçu comme l’embryon de la société nouvelle ; ils préconisent des formes d’action directe comme le sabotage, le boycott, la grève partielle et la grève générale révolutionnaire. Les anarcho-pacifistes insistent quant à eux sur l’action directe non-violente et sur la désobéissance civile comme moyen de renverser l’ordre hiérarchique oppressif.
Bien que les anarchistes soient révolutionnaires et spontanéistes, il ne faut pas croire pour autant qu’ils rejettent les formes de lutte partielles et quotidiennes. Au contraire, des anarchistes comme Elisée Reclus considèrent qu’évolution et révolution font partie d’un même processus et que chaque action peut être efficace si elle est conforme aux principes anti-autoritaires. Les anarchistes considèrent également l’éducation comme étant un des principaux moyens d’accéder à la société libertaire.

Il est toutefois à noter qu’une minorité importante d’anarchistes n’est pas révolutionnaire. En effet, la plupart des individualistes anarchistes considèrent que les « rêves de grands soirs » sont eux-mêmes potentiellement répressifs et estiment que c’est à l’individu de se libérer en rejetant lui-même la société dominatrice. Pour beaucoup d’individualistes, être anarchistes signifie être « en dehors » et vivre selon ses propres principes, en refusant de collaborer aux institutions oppressives. Cette attitude, particulièrement répandue chez les individualistes français du début du siècle, a mené certains anarchistes (comme Georges Palante) vers une forme d’individualisme aristocratique, d’inspiration nietzschéenne.


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