lundi 6 mai 2013

Billets-Marcel Rufo, chroniqueur infantilisant



Marcel Rufo, chroniqueur infantilisant

Il comprend tout, il excuse tout, psychologise à outrance. Mais quelle mouche a piqué France Inter d'inviter un pédopsychiatre au petit-dej ?

Vous avez beau l'éviter autant que possible, Marcel Rufo, comme l'enfan­ce, finit toujours par vous rattraper un jour. Depuis mi-février, le pédo-psychiatre polymédiatique impose aux auditeurs de France Inter une très étrange consultation, chaque matin, à 8h40, juste après la revue de presse. C'est un moment gênant, confus, qui donne l'impression que votre grand-père a fait intrusion dans le studio pour rabâcher ses vieilles histoires. Il recycle d'anciennes chroniques, puis s'égare en parlant de rugby, de rougets à l'huile d'olive, de balades à la tombée de la nuit...

Françoise Dolto proposait de s'adresser aux enfants comme à des adultes. Rufo, c'est l'inverse : il vous parle comme si vous aviez 8 ans, expliquant qu'il n'est pas si grave de « tricher à l'école » ou qu'on « ne peut pas bien travailler le ventre vide ». Merci papy ! Parfois, on sent Patrick Cohen un peu fébrile sur ses relances : « Mais pourquoi cet intérêt pour les dinosaures, Marcel ? » (on imagine, à côté, le rictus des chroniqueurs Thomas Legrand ou Bernard Guetta).

Difficile de savoir pourquoi France Inter a recruté ce professeur de bon sens, surtout à cet horaire voué à l'actualité chaude. Pour rassurer, entre deux infos déprimantes, l'enfant que chaque auditeur cache en lui ? De fait, les chroniques de cet « optimiste bavard » ont ce petit parfum de confiture à l'ancienne enrobant une madeleine un peu molle. En l'écoutant, il n'est pas impossible que certains auditeurs se remettent discrètement à sucer leur pouce... Il arrive aussi que sa chronique soit involontairement plus drôle que la pastille humoristique de Ben ou de Sophia Aram. Avec des développements tordus, quasi surréalistes : écoutez celle du 20 février sur la « névrose infantile » des sénateurs !

Bien sûr, nous n'avons rien contre ce médecin, sans doute excellent praticien à l'hôpital, dont le travail sur les pathologies des ados a été remarqué (il a dirigé la Maison de Solenn, à Paris, et ouvert l'Espace méditerranéen de l'adolescence, à Marseille). Mais la répétition de ses diagnostics minute calibrés pour le spectacle – sur France 3, France 5, Europe 1 et France Inter – peut provoquer certains effets secondaires indésirables. Rufo élucubre en roue libre et tranche trop vite. Oscar Pistorius aurait tué sa petite amie ? C'est parce qu'il a souffert de son handicap dans son enfance... Jérôme Cahuzac a menti ? « C'est un homme fragile », un pauvre boxeur qui se bat contre ses démons intérieurs. En psychologisant à outrance, Rufo humanise – et donc dédouane. Il y a dans chaque coupable une ex-victime. Pas de responsabilité politique : la priorité, c'est de consoler le garçonnet Cahuzac en lui caressant les cheveux.

Nous sommes un peu injustes, Marcel Rufo défend aussi l'autorité. Dans son dernier livre, Grands-parents, à vous de jouer (Anne Carrière), le pédopsychiatre demande aux aïeuls de participer à l'éducation des enfants. En précisant qu'il faut être discret, imposer une distance, savoir aussi se faire rare pour rester désirable. Certes, il a raison, mais pourquoi ne s'écoute-t-il pas lui-même ? Pourquoi avoir accepté l'exercice d'une chronique radio quotidienne ? Les psys disent souvent qu'il faut apprendre à dire non. Pourquoi le prurit de notoriété prend-il alors toujours le dessus ? Pour panser un trauma de l'enfance ? Pauvre Marcel, qui diagnostique la France entière, alors que c'est lui le symptôme qui nous inquiète le plus.

Source Télérama

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