dimanche 17 mars 2013

Billets-David Bowie: Un hippie brechtien


David Bowie: Un hippie brechtien

David Jones devient David Bowie et l'acte de naissance du glam rock est signé. La mutation décisive approche : une star va éclore.

Un jeune faon sanglé de tweed. Ainsi paraît David Bowie en juin 1967 sur la pochette d'un album qui porte juste ce nom. Le joli garçon déjà photogénique a 20 ans, vient de se réinventer une première fois. Jusqu'ici, il était David Jones, un frêle « mod » cherchant sa place dans des groupes éphémères de rhythm'n'blues. Sous cette nouvelle marque, celle d'un fameux couteau (le bowie knife), il peine encore à trancher dans l'air du temps.

C'est la saison des fleurs à Londres, où règne le chatoyant Sgt. Pepper's des Beatles. Les miniatures pop composées et chantées par Bowie, accompagnées par sa douze-cordes et le son d'un groupe assez spartiate, ont un curieux goût de cabaret. Quinze ans avant son hommage à Baal, il est déjà brechtien. Acteur de sa musique autant que musicien.
« Nous pensions qu'il avait un avenir dans la comédie musicale », confie un peu plus tard l'éditeur des chansons de Bowie (il a notamment les Rolling Stones à son catalogue) à Tony Visconti. Le jeune producteur américain, débarquant en plein Swingin' London, est fasciné par ce gandin bizarre et stylé, qui voue la même passion au rock'n'roll de Little Richard, au jazz de Gerry Mulligan, à l'underground pop de Frank Zappa. Viré par sa maison de disques après des débuts en sourdine, Bowie s'initie à l'art du mime chez Lindsay Kemp et monte avec sa muse Hermione, danseuse de ballet, des groupes au parfum hippie et volatil : Turquoise, Feathers…

Ce Bowie-là est un touche-à-tout sans direction précise, un paon quelque peu évanescent qui pose en robe et se pare des couleurs et coutumes du moment. Il peut mimer l'invasion du Tibet par les Chinois sur une scène, et quelques mois plus tard parader en « homme arc-en-ciel » sur une autre, pour une soirée que Tony Visconti voit comme l'acte de naissance du glam rock, où le scintillement des étoffes répond à des tempos désormais plus électriques. On est alors en février 1970.

L'année précédente est sorti un nouvel album de David Bowie, dont on a tiré son premier succès, Space Oddity. Une ode de circonstance aux premiers pas de l'homme sur la Lune. Mais aussi une chanson complexe et majestueuse, dépassant le cadre folk-rock où s'inscrivent la plupart de ses créations. Bowie dut l'imposer à son producteur, qui n'y croyait pas. S'il n'a pas encore d'identité musicale forte, il a déjà du flair. Mais peine à refaire le coup avec le disque suivant, The Man who sold the world, en dépit du potentiel du morceau-titre (auquel Kurt Cobain rendra justice bien plus tard).
Hunky Dory, à la fin d'une année 1971 qui a vu s'envoler vers la gloire son camarade et rival Marc Bolan avec T-Rex, est le chant du cygne du « premier » David Bowie.

Précédant de quelques mois sa mutation décisive… A l'image du portrait impressionniste illustrant l'album, il exhale encore une fraîcheur indécise et frémit de la grâce des commencements. Pop exubérante, berceuse au nouveau-né, grande ballade narrative et quelques exercices d'admiration qui dessinent Bowie en fan transi avant qu'il ne devienne star à son tour : dans Song for Bob Dylan, Andy Warhol ou Queen Bitch (un pastiche de Lou Reed), il joue encore à être un autre, avec une délectation palpable. Et quand il recopie (Fill your heart, du comédien-chanteur américain Biff Rose), c'est avec élégance.

Après viendra le temps du contrôle et du pouvoir, ces drogues dures auxquelles un créateur ne s'adonne jamais sans dommage. Pour l'heure, ce David de 24 ans, les yeux vairons balayés par une longue mèche, batifole encore en falzar à pinces, cultivant une vague ressemblance avec Lauren Bacall. On ne sait plus ce qui chez lui est naturel ou composé : désinvolture dandy, accent cockney... Mais l'a-t-on jamais su ?

Source Télérama
1971. Séance photo pour la pochette de Hunky Dory, par Brian Ward. © Brian Ward / Sony

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