jeudi 25 mars 2010

Lectures Henry MILLER-Nexus

Henry MILLER
Nexus
Traduit de l’Américain par Roger Giroux
(4ème de couverture)
Henry Miller, qui voulait être débarrassé des contingences matérielles pour devenir écrivain, à la chance de trouver en sa seconde épouse, Mona, une femme dévouée qui le supplie de rester au logis pendant qu’elle part en quête de l’argent nécessaire pour vivre. Ce pourrait être le paradis… mais il y a Stasia, l’amie hautement pittoresque de Mona. Miller se ronge d’énervement, il délire, il tourne comme un ours en cage dans Brooklyn. Dix, vingt personnages baroques traversent son univers. Nul n’est plus extravagant que Stasia ! Que faire ? Seule l’Europe, affirme Mona, convient à l’écrivain qu’il veut être.
C’est sur le départ de l’auteur pour le vieux continent que s’achève Nexus, le troisième et dernier volume de la célèbre « Crucifixion en rose », qui comprend également Sexus et Plexus. Ce récit est assurément l’œuvre la plus importante du grand écrivain américain.
(1ere phrase :)
-Ouaf! Ouaf ouaf ! OUAF ! OUAF !
(Dernière phrase :)
Allez, au revoir ! Vogue la galère !
414 pages – Editions Christian Bourgeois Paris 1996
(Aide mémoire perso :)
« L’hiver de la vie, comme quelqu’un aurait dû dire, commence à la naissance. Les années les plus dures sont de un à quatre-vingt-dix ans. Après, ça va tout seul. »
Pour ce troisième et dernier volet de la Crucifixion, Miller traverse une période terrible d’abandon et de désespoir, avant de ressusciter dans l’euphorie du départ imminent pour Paris (où il vécut de 1930 à 1939, traversant semble t-il d’autres passages délicats : divorce d’avec Mona – June dans la vraie vie – en 1931 et clochardisation avant la publication du 1er Tropiques en 1934). Les choses commencent à se gâter lorsque Mona fait la rencontre de Stasia, une sauvageonne totalement barrée qui emménage avec eux. Il s’agit moins d’un ménage à trois (Stasia prétend toujours être vierge) que d’une concurrence exacerbée entre Miller et Stasia pour l’amour de Mona, qui bien sur les aime tous les deux autant.
Miller est peu à peu exclu et pète les câbles dans la cave qu’ils occupent à Brooklyn, pendant que les filles courent le Village à la recherche de pigeons. Pour finir elles embarquent sans prévenir pour Paris, plongeant Miller dans un isolement et un désespoir accablants : une nouvelle fois, retour chez les parents. C’est à ce moment que Miller conçoit le projet d’écrire son histoire avec Mona, ce qui semble avoir occupé l’intégralité de son œuvre. Évidemment il y a toujours un ou deux anges gardiens qui traînent et qui lui permettent d’endurer son malheur jusqu’à ce que le retour de Mona le ressuscite. Elle revient seule, s’étant disputée avec Stasia (Jean Kronski dans la vraie vie, qui se serait en fait lancée dans une relation avec Anaïs Nin – Anaïs Nin qui conte dans son journal quelques épisodes fougueux en compagnie de Miller, mais à une période bien plus tardive…). Tout s’inverse alors et le bonheur éclabousse tout le dernier tiers du livre : Miller pond son roman, Mona trouve parmi ses pigeons un type désireux de le publier ainsi qu’un superbe appartement à Brooklyn, et avec l’argent du livre ils s’en vont pour Paris. Fin de l’accouchement au forceps d’un écrivain.
Ni Plexus, ni Nexus ne retrouvent la fougue dévastatrice de Sexus, le plus factuel des trois. Miller a une tendance avérée aux divagations mystiques. En général il commence un chapitre par un récit factuel, avant de dériver vers des considérations abstraites ou des références culturelles (avec notamment pour grand héros de ce 3ème tome Knut Hamsum, prix Nobel de littérature et collabo notoire lors de la 2nde guerre mondiale). Mais les trois tomes sont d’une qualité littéraire époustouflante : outre la richesse sémantique prodigieuse et la multiplication de références brillantes, Miller n’a pas son pareil pour imager son propos avec des associations saugrenues et drôles, qui si on les regarde à froid en décomposant chaque élément sont tout à fait absurdes, mais qui percutent puissamment si l’on s’en tient à leur viscérale force poétique : « Et ainsi, comme un concerto de piano pour la main gauche, la journée glissait » ; « Isaac Poussière, né de la poussière et qui retourne à la poussière. De la poussière à la poussière. Ajoutez un codicille en faveur du bon vieux temps. » Il faut mentionner la passion de Miller pour tout ce qui est juif (ce qu’est Mona bien qu’elle s’en défende), en particulier le mysticisme, l’érudition et le goût de l’argutie. D’ailleurs tous les juifs qu’il croise le prennent pour l’un des leurs. Est-ce de l’antisémitisme refoulé ou un snobisme chic ?
Un petit extrait de pur Miller pour finir, parmi les dernières lignes de la Crucifixion donc sans doute écrites vers 1959 à Big Sur : « N’était-elle pas ouverte à tous, cette terre bénie de la liberté (à l’exception bien sur des peaux rouges, des peaux noires et des ventres jaunes d’Asie). C’est dans ces dispositions d’esprit que mes Grosspapas et mes Grosmamas étaient venus. Le grand voyage vers la terre promise. Windjammers. Trois mois en mer, avec la dysenterie, le beri-beri, les poux, les morpions, la rage, la fièvre jaune, la malaria et autres délices de ce genre de croisières. Ils avaient trouvé la vie à leur goût, ici, en Amérique, mes ancêtres, bien que, dans leurs efforts pour garder l’âme chevillée au corps, ils aient succombé avant l’âge. (Mais leurs tombes sont encore en bon état). »

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